Les inégalités professionnelles entre femmes et hommes … et si c’était un problème de stéréotype de genre ?
La persistance de ces nombreuses inégalités apparaît aujourd’hui d’autant plus étonnante que les entreprises ont de plus en plus d’obligations en matière d’égalité professionnelle en Europe. En France, plusieurs lois ont été promulguées dans la période récente, depuis la négociation relative à l’égalité professionnelle femmes-hommes (2001), jusqu’à la mixité des instances de direction (2021).
Cette persistance des inégalités professionnelles en matière de salaire et de carrière, qui demeure notable dans presque toute l’Europe trouverait en partie sa source dans les croyances concernant le rôle de chacun sur le marché du travail, autrement dit les stéréotypes de genre.
C’est en résumé la thèse défendue par Clotilde Coron, professeure des universités à Paris Saclay dans un ouvrage récent. L’auteur propose une vision très fine et très complète des stéréotypes de genre, qui comportent plusieurs dimensions pouvant se combiner, comme cela est résumé dans le tableau suivant.
Tableau : Les quatre dimensions des stéréotypes de genre
Dimensions | Vision des différences de genre |
Compétences | Stéréotype : « Les femmes et les hommes n’ont pas les mêmes compétences ». Cette dimension s’étage d’une vision genrée dans laquelle hommes et femmes seraient dotés de compétences différentes (ex : les hommes savent lire les cartes et les femmes sont capables de gérer plusieurs tâches en même temps) jusqu’à une vision égalitaire dans laquelle les femmes et les hommes sont envisagés comme étant dotés de compétences égales et non spécifiques. |
Rôle de la mère | Stéréotype : « Les mères sont plus douées pour s’occuper des enfants ». Cette dimension renvoie à un jugement moral sur le rôle de la mère. On va d’une vision dans laquelle les mères qui travaillent sont moralement condamnables parce qu’elles négligent leurs enfants à une vision égalitaire et non culpabilisante du rôle de chacun au sein du couple. |
Justification des inégalités | Stéréotype « Quand les emplois sont rares, les hommes devraient être prioritaires ». Cette dimension renvoie aux comportements sur le marché du travail et de la formation. Elle repose sur la distinction entre une position inégalitaire dans laquelle les emplois et la formation devraient être prioritairement réservés aux hommes à une vision dans laquelle les inégalités d’accès aux études et aux emplois sont jugées inacceptables. |
Essentialisme | Stéréotype : « Les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus » Cette dimension s’étage d’une vision « essentialiste » dans laquelle femmes et hommes seraient intrinsèquement différents dans leurs goûts et leurs désirs jusqu’à une vision égalitaire dans laquelle le genre n’a pas d’impact sur les goûts et désirs des individus. |
Le groupe 2 rassemble des pays d’Europe centrale et orientale dans lesquels les stéréotypes de genre sont plutôt forts et la vision de la société traditionnelle (Pays des Balkans, Hongrie, Pologne, Lituanie…).
Le groupe 3 est hétérogène au niveau géographique (de l’Autriche au Portugal en passant par l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Grande Bretagne : il rassemble les pays dans les quels les stéréotypes de genre sont plutôt modérés.
Le groupe 4 rassemble enfin les pays dans lesquels les stéréotypes de genre sont les plus faibles et la vision des rôles de chacun est la plus égalitaire. Ce groupe est plus hétérogène que les autres au plan géographique puisqu’il rassemble les pays du nord de l’Europe (Suède, Finlande, Norvège…), l’Espagne et la France.
Un grand intérêt de ce travail est de découvrir que cette typologie ne recoupe pas toujours les frontières géographiques et culturelles, comme c’est souvent le cas. On trouve par exemple dans le groupe 4, qui regroupe les pays les moins « essentialistes » c’est-à-dire ceux qui adhèrent le moins aux stéréotypes de genre, deux pays éloignés sur le plan économique, géographique et culturel comme la Norvège et l’Espagne.
Mais finalement où est le problème ? on pourrait en effet penser que considérer que femmes et hommes sont fondamentalement différents est finalement une opinion tout à fait acceptable. Le problème est que les stéréotypes engendrent des préjugés qui conduisent à leur tour parfois à des distorsions dans l’évaluation des comportements (par exemple un comportement de leadership autoritaire est mieux toléré en entreprise s’il est adopté par un homme que par une femme car l’autorité est reconnue comme un trait traditionnellement masculin). La vision stéréotypée des genres peut aussi conduire à des discriminations subtiles relevées par Clotilde Coron : par exemple, le congé maternité est beaucoup plus long pour les femmes que pour les hommes dans la majorité des pays, ce qui incite les couples à créer une inégalité dans le partage des tâches domestiques dès la naissance d’un enfant.
Et la France dans tout cela ? Eh bien, nous ne sommes pas si mal placés puisque la France figure dans le groupe 4. Elle fait partie des pays dans lesquels les stéréotypes de genre ont reculé le plus vite sur la période récente, et il est intéressant de constater que ces progrès sont essentiellement attribuables aux hommes qui ont le plus modifié leurs représentations concernant les genres depuis 1990.
Coron, C. (2023). Stéréotypes de genre et inégalités professionnelles entre femmes et hommes : quelles responsabilités pour les organisations?. Éditions EMS.