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Briser le plafond de verre…pour tomber de la falaise de verre ?

Le plafond de verre, autrement dit la présence d’un obstacle invisible qui empêcherait les femmes managers d’accéder aux hautes fonctions managériales est un phénomène bien documenté : on peut noter que début 2023, 10,6% seulement des dirigeants des 500 plus grandes entreprises nord-américaines sont des femmes, et le CAC 40 ne compte qu’une femme occupant le poste exécutif de directeur général. La croyance selon laquelle les femmes et hommes possèderaient des qualités de leadership différentes constitue l’une des explications avancées pour expliquer la persistance de ce plafond de verre.

Mais cette vision genrée du leadership peut entraîner d’autres effets pervers inattendus : un exemple est fourni par l’effet « falaise de verre », qui a été mis en évidence par deux chercheurs britanniques, Alexandre Haslam et Michelle Ryan à travers une série d’expérimentations menées auprès d’étudiants et de dirigeants en poste au Royaume-Uni. Il s’agit d’un phénomène qui montre que le plafond de verre semble plus facile à briser pour les femmes dans des entreprises en crise mais les expose alors à des risques d’échec plus élevés.


Décrivons succinctement l’expérience menée auprès des dirigeants.

Les participants devaient lire une offre d’emploi (fictive) pour occuper la position de dirigeant dans une entreprise, puis examiner la candidature d’un cadre expérimenté. Les dossiers de candidatures étaient identiques et ne différaient que par le genre (féminin ou masculin) du candidat. Les entreprises étaient identiques et ne différaient que par la description de leur situation (en croissance ou en déclin).  Chaque participant recevait un seul dossier tiré au sort sur lequel il devait évaluer la qualité du candidat présenté et son adéquation au poste offert.



Que nous apprend cette expérience ?

Le graphique montre les notes d’évaluation (sur une échelle de 5) obtenues par les dossiers masculins et féminins en fonction de la situation de l’entreprise. Le principal résultat est que l’on ne constate pas chez les participants de comportement discriminatoire envers les femmes lorsque l’entreprise va bien : elles sont jugées aussi qualifiées que les hommes pour exercer des rôles de dirigeantes (la légère différence en faveur des hommes qui apparaît sur le graphique n’est pas statistiquement significative). Par contre, quand l’entreprise est en déclin, les femmes sont jugées plus qualifiées et mieux adaptées pour occuper le poste de manager ! On note aussi que le genre des participants n’a pas d’impact sur le résultat (autrement dit, les participants hommes et femmes font des choix similaires) et que la position de leader d’une entreprise en déclin est considérée comme plus stressante par les participants.

Comment expliquer ce résultat ?


Une explication fournie par les auteurs de l’étude est que les femmes leader sont jugées comme
particulièrement adaptées pour prendre la direction d’entreprises en déclin, en raison de croyances
stéréotypées concernant leurs qualités « féminines » comme par exemple l’empathie, la capacité de
négociation ou l’intuition qui seraient bien adaptées à la gestion de situation de tension.
Une autre explication (plus pessimiste) proposée est que les femmes ont moins de choix : la
direction d’une entreprise en déclin apparait davantage comme une chance pour elles compte tenu
des opportunités plus réduites d’accéder à de telles positions (le fameux « plafond de verre »). D’une
certaine manière, elles n’auraient « rien à perdre » à accepte une mission difficile.
L’effet pervers de la falaise de verre réside dans le fait que les probabilités d’échec sont plus élevées
pour des postes fortement exposés, et qu’un échec managérial sur ce type de poste peut nuire à la
carrière future du courageux (enfin plutôt de la courageuse…) manager qui prend le risque
d’accepter cette « promotion empoisonnée ».


Source : Haslam, S. A., & Ryan, M. K. (2008). The road to the glass cliff : Differences in the perceived
suitability of men and women for leadership positions in succeeding and failing organizations. The
Leadership Quarterly, 19(5), 530‑546. https://doi.org/10.1016/j.leaqua.2008.07.011